Plus vite que le vent ?
La sueur coule le long de son cou, dans sa nuque. Lentement. Imperturbablement. Sous le soleil, il poursuit son travail. Il n’a pas le choix, pense-t-il. Pas le choix. Monter des murs, porter des parpaings, pousser la brouette brinquebalante. Tous les jours que ce putain de Dieu fait. Tous les jours.
Alors, il monte des murs, porte des briques, trime du lundi au samedi. Il n’y a que le dimanche où il peut reposer un peu ses mains, son dos. Et encore, parfois il faut aller chez la belle-mère, cette bonne femme méchante et sans cœur, toujours à gueuler, à le critiquer. Parce qu’il n’est pas grand-chose, dit-elle. Elle qui n’est rien non plus. Tous les jours il se fade son épouse qu’il n’aime plus depuis bien longtemps. Elle est devenue moche, vieille ; lui n’est pas mieux. Et aussi, les bêtises incessantes du cadet, les exclusions de cours, le conseil de discipline qui pointe son nez, peut-être les ennuis avec la justice. Le grand est mort il y a deux ans dans un accident de moto ; le mieux est de ne pas y penser.
Là-bas, dans un autre secteur du chantier, il les voit. Deux maliens faméliques aux muscles durs comme de l’acier. Qui travaillent encore plus dur que lui. Qui portent des charges plus lourdes. Qui eux n’ont pas de papiers.
Il s’arrête deux minutes. Il n’en peut plus. Merde à ce fils de pute de chef de chantier. Merde à tous les patrons. Merde. C’est ça sa vie, une tonne de merde. Il voudrait trouver un coupable des fois. Les deux africains feraient l’affaire. Pensez-vous ! Ces étrangers qui piquent le travail des français. Ces gars qui débarquent et touchent des salaires indécents de faiblesse.
Ce serait tellement pratique de les détester, comme ses copains du bistrot les détestent. Les haïssent même. Eux qui sont fils d’espagnols, de portugais.
Mais il n’y arrive pas. Il n’a jamais su détester les gens. Trouver un coupable. Menacer.
La cigarette se consume lentement au coin de sa lèvre. Une grosse roulée chargée de tabac brun puant. Ca arrache la gorge, ça brûle les yeux ; ça fait un bien fou.
Il voulait devenir coureur. Marathonien. Aller plus vite que le vent, sentir la sueur couler dans son cou, le long de sa nuque, lever les bras en signe de victoire. Courir à en perdre haleine, à en crever. Courir comme on vit. Il adorait ça durant son enfance. Pendant un instant, il se sentait entier, complet. Il a toujours aimé les mots et la complétude est celui qui lui vient tout naturellement à l’esprit.
Complet sur la piste. Pas avec la truelle.
Il reprend les poignées de sa brouette pleine de ciment. Le soleil poursuit sa course, le vent la sienne.
La sueur coule le long de son cou, de sa nuque. Lentement. Imperturbablement.
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